Dimanche des Rameaux et de la Passion
HOMÉLIES
Homélie des Rameaux
Frères et Sœurs,
La Semaine Sainte commence par nous recentrer et nous reconnecter en profondeur sur la joie. Jésus entre à Jérusalem et c’est un climat de joie que l’on respire. Jésus a éveillé dans le cœur des hommes et des femmes de son temps beaucoup d’attentes et d’espérances, surtout chez les gens humbles, simples, pauvres, oubliés. Il a su comprendre toutes les misères humaines et il a montré le visage de miséricorde de Dieu. Il a posé des gestes concrets pour guérir les maladies du corps mais aussi les blessures de l’âme. Et c’est avec cet amour qu’il entre à Jérusalem. C’est une scène très belle, joyeuse, contagieuse, pleine de la lumière de l’amour et du cœur de Jésus.
La joie, bien entendu, ne se vit pas de la même façon à toutes les étapes et dans toutes les circonstances de notre vie humaine, une vie qui peut aussi parfois être très dure. Jésus le sait très bien et il le dit à ses disciples : Vous serez tristes, mais votre tristesse se changera en joie… et votre joie, nul ne pourra vous l’enlever. Car notre joie ne vient pas des plaisirs ou de la richesse; elle vient du fait de l’avoir rencontré lui, Jésus. Et son message, sa parole de Dieu quand elle nous rejoint et nous affecte, est une source de joie : tout ce qu’il nous dit c’est pour que sa joie soit en nous et que notre joie soit complète.
En voyant Jésus ressuscité, les disciples sont chaque fois remplis de joie. Quand Jésus entre à Jérusalem ce n’est pas encore, pour eux, cette joie qui les habite et les soulève. Mais pour nous qui savons qu’il est vivant et ressuscité une fois pour toutes, nous avons part à cette joie unique et elle ne nous quitte pas au souvenir que nous allons revivre, durant ces Jours Saints, de la Passion et de la Mort de Jésus. Nous savons que la Croix est incontournable dans le mystère pascal. Mais nous savons aussi que ce passage par la Croix nous ouvre à la nouveauté de Pâques et nous permet de porter un tout autre regard sur notre vie.
Prenons ce passage et marchons ce chemin, marchons-le pour nous, à la rencontre du mystère de la mort et de la résurrection dans chacune de nos vies, mais avançons avec Lui… Avançons en faisant nôtre ce que le psalmiste nous dit (Ps 42,4) : J’avancerai jusqu’à l’autel de Dieu, vers Dieu qui est toute ma joie.
Allons ensemble au rythme de nos frères ralentis par le grand âge et les infirmités. C’est ensemble que nous voulons aller vers le Christ.
Homélie de la Passion
Il y a plus de 60 ans, notre poète québécois Gilles Vigneault se demandait : sans amour pourquoi chanter et le refrain reprenait sans cesse : qu’il est difficile d’aimer. Long de temps avant lui, le psalmiste affirmait que l’amour vaut mieux que la vie. Il n’ajoutait rien mais nous pourrions, nous, y joindre le même refrain : qu’il est difficile d’aimer. Et nous venons de l’entendre encore une fois dans le récit de la Passion : qu’il est difficile d’aimer.
Jésus dit que l’un des siens va le trahir et les disciples se demandent à tour de rôle : serait-ce moi Seigneur? Ils l’accompagnent depuis trois ans; ils vivent avec lui jour après jour mais aucun n’est sûr de ses sentiments. Serait-ce moi, Seigneur? Et quand Pierre ajoute : même si je dois mourir avec toi, je ne te renierai pas. Et tous les disciples dirent de même. Une réponse noble et sincère mais sans fondement ni ancrage dans la réalité. Ils finiront tous par s’enfuir, disparaître et laisser Jésus seul à la fin.
Judas va trahir Jésus et le signe convenu pour le livrer consiste à embrasser Jésus. L’amour est imité et parodié. Ce n’est pas seulement difficile d’aimer mais on peut poser des gestes d’amour trompeurs et menteurs. Judas va reconnaître qu’il a livré un innocent mais il est trop tard pour rattraper son geste, D’ailleurs les grands prêtres et les anciens le lui disent clairement : Pour nous, tes remords sont sans importance. Cela te regarde. Et Judas qui n’a pas appris à affronter la part obscure de lui-même et encore moins de s’ouvrir à l’amour ne voit pas d’autre issue que de se pendre. Il est difficile d’aimer les autres quand on n’arrive plus à s’aimer soi-même.
En reniant Jésus, Pierre va prononcer des mots terribles : Je ne connais pas cet homme. Comment peut-il parler ainsi lui qui a toujours été si proche de Jésus ? On pense qu’il a voulu sauver sa peau, qu’il s’est préféré lui-même à Jésus et il y a sans doute quelque chose de cela dans son Je ne connais pas cet homme. Mais peut-être disait-il la vérité à cet instant précis. À certaines heures, même si on croit l’aimer, il arrive de ne plus toujours savoir si on connaît vraiment quelqu’un et on peut alors dire tenir des propos qui nous font sortir de la relation avec l’autre. Pierre s’est alors souvenu que Jésus lui avait annoncé ce qui allait arriver et, rentrant en lui-même, il a pleuré amèrement et il a aussi retrouvé son humanité. Il est difficile d’aimer. Et ce sera intéressant plus tard de voir comment Jésus a renoué le lien avec Pierre. Il a fait émerger au fond de cet homme ce qu’il portait de meilleur. Il ne l’a pas questionné sur son zèle, sa fidélité, son courage. Il l’a interrogé sur l’amour. Pierre, m’aimes-tu ? C’est rare qu’on interroge les gens sur leur amour mais pour Jésus, c’est la seule question qui l’intéresse. Parce que l’amour c’est la question où se joue le destin de tout être humain.
Le passage de Simon de Cyrène sur le chemin de croix de Jésus est intéressant. Il est réquisitionné. Il ne pose pas un geste gratuit d’amour comme le bon Samaritain mais il le fait. Et peut-on être vraiment soi-même avant d’avoir appris à porter quelqu’un d’autre ou du moins la croix de quelqu’un d’autre? Par obligation ou librement, il nous arrive tôt ou tard d’être mis devant cette situation : prendre sur nous ce qui est trop lourd à porter, voire même écrasant, pour un autre et faire un bout de chemin avec lui, en le soutenant comme on peut. Simon de Cyrène ne vit pas la vie de Jésus à sa place. Personne ne peut vivre la vie d’un autre à sa place. Mais nous pouvons parfois en partager une part, pour un certain temps. Et il y a de l’amour dans cette aide.
Le centurion et ceux qui gardaient Jésus avec lui dirent : Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu. Ils ont été saisis par les événements et sans doute par les paroles de Jésus en croix. Ils avaient devant eux un crucifié, condamné à mort et agonisant, sans doute qu’il n’était plus beau du tout à voir, mais au-delà des apparences ils ont vu l’invisible, ils ont vu le Divin. Ils gardaient Jésus ensemble, ils ont écouté, regardé, vu et discerné ce qui advenait à cet instant et ce qui est monté en eux ressemble beaucoup ce que dira saint Jean un jour : C’est le Seigneur. Ils dirent : Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu. À mi-chemin entre la confession de foi et la confession d’amour. Une brèche de lumière s’est ouverte en eux.
L’amour se vit toujours dans une relation. Pour Jésus c’est avec nous et avec son Père qu’il vit cette relation. En croix il ouvre les bras pour accueillir nos peines et nos joies, pour nous aimer jusqu’au bout. Et faut-il le redire : pour nous aimer « lucidement » jusqu’au bout. Il goûte, mais sans la boire, la boisson à base de vin avec un grain d’encens destinée aux crucifiés pour leur faire perdre conscience en bonne partie et leur éviter de trop souffrir. Jésus crie d’une voix forte Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? Un chanteur populaire a repris ce cri d’un fils à son père : où t’es papa, où t’es ? Jésus se tourne vers son père car, à cet instant, dans l’abandon et la solitude qui précèdent sa mort, il ne sent plus le lien et c’est un ultime cri d’amour. Où t’es papa, où t’es ? ce qu’il cherche ce n’est pas le pourquoi explicatif de l’abandon, c’est la présence de ce Père éternel, tendre et aimant, qui lui a dit : Tu es mon fils, en toi j’ai mis tout mon amour…